Ignace Bauwens : apprendre toute une vie durant
De la côte belge à la ligne d’horizon de Dubaï : au cours de son impressionnante carrière, Ignace Bauwens n’a cessé de repousser les limites du secteur de l’hospitalité. Dans cette interview, il nous fait part de ses idées concernant le style de leadership à privilégier, les évolutions dans le domaine de l’hospitalité et la solidarité humaine qui rendent ce secteur si unique. Un récit rempli de passion, de culot et de leçons instructives pour la prochaine génération de professionnels.
Ignace Bauwens est un entrepreneur éminent et passionné du secteur de l’hospitalité. Mais son ascension vers les sommets a débuté de façon étonnante. « Au départ, j’ai étudié les mathématiques », raconte Bauwens en riant. « Mais la vie m’a fait prendre un autre chemin. Après le décès de mon père, ma mère a ouvert un restaurant à Duinbergen, sur la côte belge. Je donnais un coup de main au service, au bar ou ailleurs. Partout où l’on avait besoin de moi, en fait. Ces premiers pas dans l’horeca ont éveillé mon intérêt pour le secteur de l’hospitalité. Je me demandais constamment : comment pouvons-nous améliorer telle ou telle chose ? Cela m’a finalement amené à suivre des cours du soir, où j’ai étudié l’art du service et l’œnologie. »
Ces cours ont constitué un tournant. Un formateur lui a conseillé d’étudier la gestion hôtelière. Bauwens s’est inscrit au HTI – devenu depuis la haute école VIVES – et a été l’un des premiers diplômés de cette formation. « À partir de là, tout est allé très vite : j’ai commencé à travailler en tant que F&B-manager et j’ai gravi les échelons dans des hôtels comme Sofitel et Holiday Inn. »
La carrière d’Ignace Bauwens a été marquée par des choix cruciaux. C’est lorsqu’il travaillait au Sofitel Brussels Airport qu’il a effectué l’un de ses plus grands sauts. « Il fallait entièrement repositionner et rénover l’hôtel. Après trois années de succès, je me suis inscrit sur la liste pour les postes d’expatriés chez Accor. On m’a demandé si je voulais aller à Dubaï. Je me rappelle encore très bien ce moment. Lorsque j’ai terminé mes entretiens sur place, j’ai observé les gratte-ciels dominant l’horizon de la ville et pensé : est-ce cela mon avenir ? J’ai alors décidé de faire le grand saut. »
En 2002, Dubaï n’était pas la même ville qu’aujourd’hui. Elle ne comptait encore que 35 000 chambres d’hôtel au lieu des 155 000 actuelles. Pourtant, Bauwens a décelé le potentiel qu’elle recelait. « C’était un pas énorme. Je venais de construire une maison et de fonder une famille. Mais il faut parfois prendre des risques si on ne veut pas faire du surplace. Cette période à Dubaï a été particulièrement formatrice. J’y ai appris tout un tas de choses, allant de l’ouverture de nouveaux hôtels au travail en partenariat avec des propriétaires. Cet aspect-là aussi, c’est là-bas que je l’ai découvert. »
En passant du poste de manager à celui de dirigeant, Bauwens a pris conscience d’une chose importante. « Au début, on s’occupe surtout des détails opérationnels. On contrôle, on rectifie, et on veut être partout à la fois. Mais pour vraiment avoir un impact, il faut apprendre à lâcher prise et à motiver les autres. » Il compare son style de leadership à la préparation d’un plat. « Il faut s’entourer des personnes adéquates, des bons experts dans leur branche. On ne doit pas faire la mayonnaise soi-même, mais il faut savoir comment obtenir tel ou tel goût. C’est un peu ça, diriger. »
Les années passées au Moyen-Orient ont été très inspirantes pour Bauwens. Il y a travaillé avec des équipes constituées de personnes ayant des nationalités et cultures diverses, et venant de différents milieux. « Je ne regarde pas la couleur, la religion ou l’origine. Pour moi, la seule chose qui compte, c’est de savoir qui est la personne adéquate pour le poste. » Cet esprit ouvert l’a aidé à bâtir des équipes solides et diversifiées qui obtiennent des résultats.
Lorsque Bauwens fait le point sur sa carrière, quelques moments marquants se dégagent. Il nous parle notamment des défis rencontrés lors du Printemps arabe. « Durant cette période, j’étais responsable d’hôtels en Égypte, au Liban et en Jordanie. Alors que le Moyen-Orient s’embrasait, nous avons décidé avec les propriétaires de maintenir ouverts les cafés réservés au personnel. Pour de nombreux collègues, il s’agissait du seul endroit où ils pouvaient aller manger. »
Plus tard, Bauwens a vécu un moment émouvant lorsqu’il est rentré en compagnie du PDG mondial d’IHG. « Nous avons rassemblé des milliers de collègues dans la salle de bal. Je n’oublierai jamais leur gratitude et leur solidarité. Cela m’a fait à nouveau prendre conscience que dans le secteur de l’hospitalité, tout tourne autour des gens. On touche le cœur des gens, et c’est ça qui fait la différence. »
Bauwens trouve que le secteur de l’hospitalité a radicalement changé au cours des 35 dernières années. « Autrefois, les chaînes hôtelières étaient essentiellement standardisées. Aujourd’hui, une plus grande place est laissée à l’individualité et à l’expérience client, quel que soit le segment, de l’économique à l’ultraluxueux. Les clients attendent désormais davantage qu’un simple buffet. Ils veulent vivre une expérience : la décoration d’intérieur doit être adéquate, la musique adaptée et le service irréprochable. » La technologie joue un grand rôle à cet égard. « L’IA offre d’énormes opportunités, en particulier pour ce qui a trait aux call centers, au marketing et au sondage client. Mais nous devons veiller à préserver une touche d’humanité. Dans le segment de luxe, le contact personnel reste en effet irremplaçable. »
Par ailleurs, Bauwens constate que la frontière séparant affaires et loisirs continue de s’estomper. « Les gens combinent de plus en plus travail et détente. Les hôtels ont tout intérêt à répondre à cette tendance en proposant des concepts flexibles associant ces deux univers. »
Une autre évolution importante est la tendance aux modèles « asset light » dans l’industrie hôtelière. « Les cinq plus grands groupes hôteliers fonctionnent presque tous selon ce principe », explique Bauwens. « Contrairement aux entreprises qui possèdent entièrement leurs bâtiments, les modèles « asset-light » reposent sur la puissance de la marque et le programme de fidélité. C’est là que réside leur valeur. Ils vendent leur immobilier de manière à se concentrer entièrement sur la gestion de la marque et l’expérience client. » Ce modèle permet aux groupes hôteliers d’opérer plus efficacement.
Que peut dire Ignace Bauwens aux jeunes professionnels qui souhaitent se hisser jusqu’au sommet ? Son conseil est clair : « Service, excellence et consistance. Ce sont les trois mots-clés de la réussite. Cultivez toujours l’esprit de service, visez l’excellence et restez constants dans tout ce que vous faites ». Il encourage également les jeunes à relever les défis avec le sourire. « Osez faire la différence. Acceptez des projets devant lesquels d’autres ont reculé. Lorsque je suis allé à Dubaï, j’étais terrifié. Mais ce sont justement ces moments qui vous forment. » Enfin, il souligne l’importance de vivre pleinement chaque moment. « Profitez de ce que vous faites, car cela passera plus vite que vous ne le pensez. L’hospitalité est un domaine exigeant, mais c’est aussi le plus beau secteur au monde. Les gens font la différence, jour après jour. »
La passion de Bauwens pour l’hospitalité reste toujours aussi vive. « Je veux continuer à partager mon expertise, par exemple en jouant un rôle de mentor pour la nouvelle génération. Par ailleurs, je reste ouvert aux défis sur lesquels je peux imprimer ma marque. L’hospitalité m’a tant donné que j’aimerais donner quelque chose en retour. »